Plutôt lancé affectueusement, un pilote très connu dans le monde de l'Endurance et spécialiste des 24 heures du Mans m'avait dit : "Alors Ludo… Bientôt Retour vers le Futur ? Tu vas voir Emmett Brown et Marty McFly ?"
Je restais plutôt interloqué et interrogateur en songeant à cette référence faite au film culte "Retour Vers le Futur" et qui concernait deux personnes que je m'apprêtais à rencontrer au pied des Pyrénées.
Mystère et boule de gomme, surtout après que mon interlocuteur finit par lâcher dans un immense éclat de rire : "Tu verras bien, mais si il y a une chose que je peux te dire c'est que tu vas passer un incroyable moment avec eux…car au-delà d'être de brillants techniciens, tu vas rencontrer deux vrais génies, des passionnés – purs et durs".
Une heure de vol depuis Paris et deux heures de voiture plus tard, je me retrouvais avec mon ami Didier Bretin (Directeur de l'école de pilotage Start & Drive) à Saint-Pé-de-Bigorre, un village encaissé au bout d'une magnifique vallée à deux pas des grottes de Betharram et à une dizaine de kilomètres de Lourdes. Et s'agissant de "miracle", le premier de la journée fut qu'en ce début d'automne, la météorologie était juste parfaite : un ciel bleu limpide et une température d'arrière saison des plus clémentes.
Face à nous, un long bâtiment sans autre signe distinctif qu'un simple panneau posé et sur lequel on pouvait lire une inscription frappée de trois mots symbolisant la Mecque des Constructeurs de Véhicules de Sport-Prototypes : "Norma Auto Concept". Et je m'apprétais à rencontrer les sorciers de Norma : Norbert Santos et Guillem Roux !
La genèse de ce voyage trouvait ses racines dans le fait qu'après avoir vendu les unes après les autres les GT qui m'avaient fait plus que vibrer, j'avais décidé de rouler en proto pour m'enivrer de sensations et de performances décuplées. L'aventure commença avec l'acquisition d'un proto école de type Radical SR3 avec lequel je pris beaucoup de plaisir.
Puis vint le moment où je me décidais à passer du "Collège au Lycée" en acquérant une Norma M20FC et de viser si possible quelques volants en VdeV…
Vous allez me trouver certainement plutôt curieux, mais j'ai toujours pris pour habitude de visiter les lieux où ont été assemblées les autos que j'ai eu la chance de posséder. En effet, lorsqu'on prend le temps d'observer avec quelle incroyable attention et infinie patience sont construits certaines autos, on ne peut finalement avoir que beaucoup de respect et d'attention pour elles avant même de s'installer derrière le volant. Question de principe ! Direction donc…Saint-Pé-de-Bigorre.
Norma Auto Concept est un nom connu de tous les amoureux du circuit et de la course de côte car c'est bien sur ces deux terrains que le constructeur pyrénéen triomphe depuis plus de 20 ans. Et c'est également avec des Norma que les Championnats se gagnent les uns après les autres. Il n'y a qu'à regarder le championnat VdeV 2013 pour s'en convaincre : trois Norma sont en tête, loin devant d'autres constructeurs pourtant redoutables tels Taatus ou Ligier. Et depuis des années c'est toujours le même scénario qui fait enrager ses concurrents : Norma fabrique des autos d'exception.
Pour mieux comprendre la réussite de "Norma", il faut revenir une trentaine d'années en arrière lorsque Norbert Santos, alors professeur de technologie au collège Clermont de Pau, est un pilote de course de côtes de "week-end" qui passe plus de temps à modifier ses protos March 73S ou ARC MF2 qu'à les piloter.
A force de vouloir faire évoluer ses autos, Norbert se dit qu'il ferait mieux de construire son propre proto avec une seule idée en tête : "Participer c'est bien mais gagner c'est mieux !"
En 1984 et avec une vingtaine de passionnés, Norbert crée une association Loi 1901 qui jusqu’en 1990, fera naître un bon nombre de protos de la M1 à la M6. Norma étant la contraction du prénom "NORbert" avec celui de "MArc" (Doucet), un ami pilote décédé en 1982 sur le circuit de Nogaro.
Parce que Norbert Santos est résolument un homme fidèle dans ses sentiments, c'est également la première lettre du prénom de son ami Marc qui servira à la dénomination de toutes les voitures produites jusqu'à ce jour de la "M"1 à la "M"20…
L'équipe se concentre dès 1986 à la réalisation de prototypes destinés exclusivement à la course de côtes. C'est à cette époque que naît le M1. L'équipe décide rapidement de se tourner vers le circuit et plus précisément vers le Groupe C : c'est l'époque de la Norma M6 qui sera conçue pour les 24h du Mans de 1990 avec l'équipage Norbert Santos, Daniel Boccard et Noël del Bello. Comme tout le monde le sait, le sport automobile est un monde impitoyable : l'équipe de Norbert Santos qui avait misé beaucoup sur le moteur W12 (double V12) assemblé par MGN - au détriment du moteur Cosworth - se retrouve finalement incapable de prendre le départ faute d'avoir un moteur en état de fonctionnement.
S'ensuit une période très compliquée avec l'équivalent de 300000 Euros à rembourser aux sponsors, à l'ACO etc. Ce que fit Norbert Santos durant plusieurs années avant de combler sa dette… On a le sens des responsabilités et de l'honneur ou on ne l'a pas…
Entretemps, la Norma M12 à moteur Alfa Roméo offre le sacre de Champion de France de course de côtes au célèbre Marcel Tarrès, surnommé "l'Aigle des Montagnes".
En 2000, le constructeur pyrénéen se lance après une rencontre avec Edouard Sézionale dans une aventure américaine avec la Norma M2000 (photo ci-contre) qui participe aux 24 Heures de Daytona.
En 2001 et 2002 la Norma M2000 participe aux Rolex Sports Car Series.
Une structure est construite près de Tampa en Floride (USA) et cela paye : la Norma M2000 est alors dans le top 10 du championnat américain.
De 1991 à 2003, Norma reste une société très artisanale ne construisant que quelques voitures utilisées principalement en course de côte. Les résultats sont excellents avec de nombreux titres à la clé, mais Norbert Santos veut aller encore plus loin. Profitant de l'arrivée un an plus tôt de Guillem Roux (se prononce "Rouxe" :-)), jeune ingénieur passionné depuis toujours de sport automobile et de mécanique grâce à un père pilote et concepteur, Norma passe la vitesse supérieure et sort un proto CN (CN = Voiture de compétition biplace, ouverte ou fermée, construite spécialement pour les courses de vitesse en circuit fermé, équipée d’un moteur issue d’un modèle de voiture homologué en groupe N).
Il s'agit de la désormais très fameuse "Norma M20". Construite d'emblée à 30 exemplaires et destinée d'abord à la course de côtes entre les mains expertes de Henri Vuillermoz et de son fils Benoit, le bébé de Guillem Roux et Norbert Santos s'illustre également en circuits avec de très nombreux championnats et titres gagnés les années suivantes.
Depuis 2011, la Norma M20FC (C pour "Chassis Carbone") est victorieuse, tant en course de côtes que sur circuits, preuves de la fiabilité et de la compétitivité de cette auto dérivée de la M200P, alignée en LMP2. C'est avec cette auto que Nicolas Schatz est devenu le roi de la montagne tout comme Sébastien Petit. En VdeV, c'est un "outil" à gagner les championnats depuis plusieurs années. Il suffit de voir les temps de qualification d'un Vincent Capillaire pour être bluffé des performances de cette auto. En 2013 c'est 1'11"6 sur le circuit de Dijon à 191 km/h de moyenne ! Certes, Vincent Capillaire n'est pas n'importe lequel des pilotes mais quand même…Ce temps est de 4 secondes inférieur aux meilleurs temps de qualification de l'année précédente.
Même punition pour la concurrence au Castellet. Le plus incroyable est que cette Norma M20FC ne bénéficie que d'un "petit" moteur Honda Mugen de 2 litres de cylindrée avec "seulement" 260 CV. C'est dire l'aérodynamique de qualité de cette auto… Pour vous donner un ordre d'idée sur la leçon sévère qu'il faut être capable d'accepter avec un Vincent Capillaire ou un David Zollinger derrière le volant, il suffit de comparer les chronos d'une Norma M20 FC avec un autre prototype tel que la Radical SR8RX. Avec une masse équivalente mais un incroyable moteur de quelques 460 chevaux (200 chevaux de plus !), la Radical rend pourtant 4 secondes au tour sur le circuit très rapide du Castellet. Et derrière le volant de la Radical on trouve le leader du championnat européen de la marque anglaise…
Au Mans, c'est une Ferrari 458 GT3 habituée des Blancpain Series qui ne peut pas suivre le rythme de la Norma. Il s'agit pourtant d'une séance de coaching avec Start&Drive et le pilote n'est pas un professionnel, puisqu'il ne s'agit que de… moi ! J'aurais imaginé cette Norma M20FC plutôt compliquée à gérer, et pourtant il n'en n'est rien s'agissant bien sûr d'une utilisation en trackday. Cette voiture est d'une incroyable facilité.
Les premières Norma M20FC de 2011 se négocient autour de 65000 Euros tandis qu'une voiture neuve est vendue autour de 130 000 Euros.
Il existe un marché de l'occasion extrêmement stable pour des Norma M20 plus anciennes et toujours très compétitives malgré leur chassis tubulaire. Le prix moyen pour une voiture avec du potentiel se situe autour de 40 000 Euros.
Nombreux sont les propriétaires de GT à désormais se tourner vers les Norma tant leur coût d'entretien peut paraître ridicule comparé à des Porsche Cup ou GT3RS.
Alors que la crise économique sévit toujours, y compris dans le sport automobile, Norma continue sur sa lancée en construisant vingt voitures par an. Une activité à l'image de son dirigeant Norbert Santos et de son équipe : sans bruit, sans heurt et avec raison gardée…
Car c'est bien cela qui est frappant lorsqu'on se rend chez Norma. Dès que l'on passe la porte, l'esprit de famille prévaut et cela se sent immédiatement d'abord avec Camille (la fille de Norbert Santos) et Nicole qui assurent en équipe une large partie de l'intendance de Norma : une livraison en urgence, l'établissement d'un contrat, le suivi de tous les dossiers, etc. Le sourire et la bonne humeur sont sans nul doute leur arme fatale ! Il ne faut pas plus d'une minute pour s'en rendre compte…
Aux commandes, Norbert Santos et Guillem Roux. Et c'est sûrement à cet échelon que la valeur ajoutée de Norma est maximale.
Nombreuses sont en effet les PME à ne vivre que sous l'autorité d'un dirigeant à l'image de son entreprise (et vice-versa) avec les risques que cela comporte au moment de la transmission de celle-ci. Et au-delà de tout charisme, c'est la vision même du dirigeant d'entreprise qui demeure la caractéristique la plus "sensible".
Après une journée passée chez Norma, j'ai enfin compris ce que cet ami pilote des 24 heures du Mans voulait me faire passer comme message en comparant Norbert Santos et Guillem Roux à Emmett Brown et Marty McFly. Au-delà d'une vague ressemblance de Norbert avec le facétieux docteur Emmett Brown du film "Retour vers le Futur", c'est bien dans le génie de l'un et la formidable complicité de l'autre - unis dans une même vision - que l'on voit Norbert Santos et Guillem Roux. Ils n'ont certes ni l'un ni l'autre construit, sur la base d'une DeLorean, une machine à remonter dans le temps, mais c'est le même sang qui coule dans leurs veines. Celui de la créativité et de la volonté ultime d'accomplissement.
En observant avec attention ces deux là , on pourrait même y deviner un don d'ubiquité, tant leur vision globale semble identique et ce quelle que soit leur différence d'âge. Dans chacune des conversations, chacun d'entre eux a en effet une incroyable propension à utiliser le "nous" y compris lorsqu'il s'agit de choix que l'on imaginerait plus personnels. Leur implication dans la perpétuelle recherche de performance, leur humilité à reconnaître que l'échec fait aussi partie de la vie de Norma (Pikes Peak en est le plus récent exemple) et que rien n'est jamais acquis (bien que les voitures de Saint-Pré-de-Bigorre soient en tête de très nombreux championnats) sont deux constantes.
J'ai remarqué durant la longue visite des ateliers comment la main de Norbert Santos continuait de glisser lentement, presque 30 ans après ses débuts de constructeur, sur le chassis des autos qu'il nous présentaient… Une marque de quasi-affection et de respect inchangés pour des créations sans cesse inégalées.
Même constat chez Guillem Roux. Ceux qui connaissent cet ingénieur expérimenté, comme le pilote professionnel David Zollinger, précisent que sous le côté "force tranquille" se cache un tueur. Pas un serial-killer mais un "tueur de secondes". Ces mêmes secondes qui font la différence pour arriver premier au passage du drapeau à damier. Son foisonnement d'idées semble permanent et chaque détail compte.
Il m'a suffit de l'observer discuter avec Didier Bretin qui souhaitait installer un double pédalier sur sa Norma M20FC (dans le cadre de son activité école de pilotage) pour comprendre la capacité de réflexion de l'intéressé. Chaque mot dans son explication était pesé, chaque détail paraissait logique et toujours cette main qui caressait le chassis tout au long de l'explication…
De l'avis de nombreux utilisateurs de Norma rencontrés au hasard des trackdays et des compétitions, chacun reconnaît que la vénérable maison Norma ne les considère pas comme de simples clients mais comme "ses" pilotes – amateurs ou professionnels. Chacun ou chacune bénéficie ici de la même attention.
Sur les compétitions, l'assistance Norma n'est jamais bien loin et le camion de pièces détachées non plus. C'est l'une des spécificités de la maison…
Vous l'aurez aisément compris à la lecture de ces quelques lignes : cette visite chez Norma ne m'a nullement laissé insensible.
Au-delà de la personnalité de Norbert Santos et de Guillem Roux, sans compter la qualité de leurs équipes, j'ai pu voir pourquoi la Norma M20 était une voiture "bien née". La mouture 2014 est en gestation et je peux déjà vous dévoiler que les modifications seront essentiellement d'ordre aérodynamique. Finalement, peu de changements tant l'ADN de la "FC" est tout simplement... parfait !
L'arrivée, certes retardée, de la Norma M20FC en version "fermée" enthousiasme le petit monde du circuit et ses différents choix de moteurs (du Honda 2 litres au gros moteur BMW V8) laissent envisager un potentiel certain.